« Je suis heureux de voir d’anciens esclaves se sentir à nouveau respectés »

Ahmed est un des libérateurs d’esclaves de la première heure. Depuis 1997, il effectue avec un engagement incroyable ce travail qui n’est pas sans danger en coordonnant des libérations. En cas d’échec des négociations avec les propriétaires d’esclaves, il ne se résigne pas facilement. Il a échappé de justesse à une arrestation, mais cela ne le détourne pas de sa vocation.

04_Befreier-e1679340312279

Jusqu’à présent, Ahmed et ses équipes de libération ont sauvé plusieurs dizaines de milliers de personnes de l’esclavage. Son travail est extrêmement dangereux, c’est pourquoi il ne se laisse photographier que voilé. csi

 

CSI : Combien de libérateurs d’esclaves travaillent pour vous ?

Ahmed * : Avant l’an 2000, j’avais quatre équipes de libération avec un total de vingt personnes. J’ai ensuite réduit mes effectifs et je n’ai plus que deux équipes qui travaillent pour moi, soit dix hommes.

Depuis combien de temps libérez-vous des esclaves sud-soudanais ?

J’ai commencé à libérer des esclaves en 1997, cela fait donc vingt-six ans.

Combien de personnes avez-vous libérées environ ?

Lorsque j’ai commencé, nous sauvions 1 200 esclaves à chaque action, soit un total de 54 000 personnes de 1997 à 2005 (cinq actions par année). De 2005 à 2017, le nombre d’esclaves libérés a été réduit à 400 par action. Et depuis 2017, ce nombre est de 300 à chaque fois. Au total, ce sont au moins 85 800 esclaves originaires du Soudan du Sud que nous avons libérés à ce jour.

Comment procédez-vous pour la libération ?

J’ai une équipe sur place qui se rend dans les exploitations agricoles où sont détenus les esclaves. Mes collaborateurs négocient avec les propriétaires arabes. Une fois qu’un accord est trouvé, mon comité vient me voir et me fait part de ce dont les libérateurs ont besoin pour payer les propriétaires d’esclaves soudanais. Dans la plupart des cas, ceux-ci veulent des vaccins pour leur bétail. Je leur donne donc ces médicaments comme monnaie d’échange.

Arrive-t-il que les négociations n’aboutissent pas parce que le maître refuse fermement de laisser partir son esclave ?

Oui, cela arrive malheureusement, mais nous n’abandonnons jamais. En cas d’échec, nous formons un autre comité très compétent qui retourne auprès du propriétaire. Parfois nous faisons aussi appel à des anciens du village qui nous aident.

Avez-vous déjà été menacé en essayant de libérer un esclave ?

Oui, en 1999, j’ai été vivement menacé par le gouvernement islamique de Khartoum, la capitale du Soudan. Ma vie ne tenait qu’à un fil. Des policiers ont été chargés de nous arrêter, mon équipe de quatre personnes et moi-même. Mais des amis ont eu vent de cette affaire et nous avons pu nous échapper.

Lorsque les agents sont arrivés à l’endroit où ils pensaient que nous nous trouvions, ils ont arrêté mon père et l’ont emprisonné pendant plus de trois ans. Il est tombé malade et quand il a été libéré, il est décédé. Que se serait-il passé si les services secrets soudanais m’avaient arrêté ? J’aurais certainement été exécuté.

Quelle est la partie la plus dangereuse de votre travail ?

Mon travail est particulièrement dangereux lorsque j’arrive à la frontière entre le Soudan et le Soudan du Sud. J’y rencontre différents groupes : des gangs, des ravisseurs qui veulent de l’argent, ou encore des Arabes qui veulent à nouveau enlever les esclaves libérés.

Qu’est-ce qui vous motive à libérer des esclaves au Soudan avec tous ces dangers ?

L’esclavage est le pire moyen, mais aussi le plus sûr, lorsqu’il s’agit de détruire des vies humaines. Ma motivation est d’autant plus grande pour libérer les gens de cette misère. Je suis heureux lorsque je vois un esclave libéré sourire à nouveau en se sentant libre et respecté. En outre, c’est mon métier et il me permet de vivre. Je vais continuer à travailler dur pour sauver encore plus d’esclaves au Soudan.

Selon vous, combien de Sud-Soudanais sont encore esclaves au Soudan ?

Les esclaves vivent dans différents villages et exploitations agricoles. En outre, de plus en plus de personnes naissent et grandissent en étant asservies alors qu’elles souhaiteraient vivre dans la patrie de leurs ancêtres, au Soudan du Sud. Dans ces conditions, il est difficile de savoir combien d’esclaves il reste actuellement au Soudan.

J’espère et je fais tout pour que l’esclavage prenne fin un jour.

Interview : Reto Baliarda

* Nom fictif

Commentaires

Nous serions heureux que vous nous fassiez part de vos commentaires et de vos ajouts. Tout commentaire hors sujet, abusif ou irrespectueux sera supprimé.


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.

Votre commentaire a été envoyé.

Le commentaire a été envoyé. Après avoir été vérifié par l'administrateur, il sera publié ici.

Autres actualités – Soudan du Sud