
Une rapporteuse spéciale des Nations unies a écrit au gouvernement nigérian pour lui faire part de son inquiétude quant à la persistance de la criminalisation du blasphème dans le pays et au traitement des personnes accusées de blasphème, en particulier Deborah Yakubu et Rhoda Jatau.
Rhoda Jatau a comparu devant le tribunal le 16 octobre. csi/Masara Kim
Dans un rapport conjoint daté du 4 août 2023, mais qui vient d’être publié, la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction (SRFoRB), Nazila Ghanea, fait état d' »épisodes croissants de violence » liés à des accusations de blasphème visant des minorités religieuses au Nigéria.
La communication officielle au gouvernement du président Bola Tinubu intervient après qu’une coalition de groupes de défense des droits de l’homme, dont Christian Solidarity International (CSI), a lancé un appel conjoint au rapporteur spécial pour qu’il se saisisse du cas de Rhoda Jatau.
La communication a également été signée par le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le rapporteur spécial sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression et le vice-président chargé des communications du groupe de travail sur la détention arbitraire.
Les cas de Mmes Yakubu et Jatau « semblent liés à l’exercice légitime du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion et à la liberté d’opinion et d’expression », déclare Mme Ghanea, qui note qu’en tant que chrétiennes du nord du Nigéria, elles appartiennent toutes deux à une minorité religieuse.
Deborah Emmanuel Yakubu, une étudiante de Sokoto, a été lynchée le 12 mai 2022 par des camarades de classe qui l’accusaient de blasphème contre l’islam. Rhoda Jatau, infirmière de l’État fédéré de Bauchi, a également été accusée de blasphème après avoir partagé une vidéo condamnant le meurtre de Mme Yakubu. Elle est emprisonnée depuis son arrestation le 20 mai 2022 et est jugée pour « incitation au désordre public ainsi que pour insulte et mépris des croyances religieuses ».
« Nous sommes également préoccupés par l’arrestation et la détention de Mme Jatau, accusée de blasphème, qui est emprisonnée depuis plus d’un an pour ce qui semble être un simple exercice pacifique de son droit à la liberté d’expression et à la liberté de religion ou de conviction », a écrit la rapporteuse spéciale.
Le 27 novembre 2023, près d’un an après le début du procès de Rhoda Jatau, il devrait être statué sur la demande d’abandon des charges qui pèsent sur elle.
Mme Ghanea souligne que la libération sous caution de Rhoda Jatau a été refusée à plusieurs reprises en raison du risque de troubles à l’ordre public et que, depuis son arrestation, elle n’a eu qu’un accès intermittent à un avocat et à des membres de sa famille, principalement lors des comparutions devant le tribunal.
Elle demande au Nigéria :
La rapporteuse spéciale exprime également son inquiétude quant à la criminalisation du blasphème au Nigéria, contraire au droit et aux normes internationales en matière de droits de l’homme, et aux attaques et meurtres collectifs qui accompagnent souvent les accusations de blasphème.
« Il est très préoccupant que la criminalisation légale et judiciaire du blasphème, et les décisions de justice à cet égard, puissent légitimer des attitudes sociales négatives et violentes à l’égard des membres des minorités religieuses, et encourager et conduire à des actes de violence à leur encontre de la part d’individus ayant des opinions religieuses et politiques extrêmes », indique le rapport.
La rapporteuse spéciale souligne que les préoccupations exprimées précédemment au sujet de l’existence continue et de l’utilisation fréquente des lois sur le blasphème au Nigéria sont restées sans réponse.
« CSI se félicite de cette action importante des rapporteurs spéciaux de l’ONU, a déclaré le Dr John Eibner, président international de CSI. Nous espérons qu’elle sera suivie par d’autres actions en faveur de Rhoda de la part des acteurs des droits de l’homme et des gouvernements qui se sont engagés à respecter les droits de l’homme. »
« L’emprisonnement cruel de Rhoda Jatau est un outrage au droit nigérian, au droit international des droits de l’homme et à la décence humaine la plus élémentaire, a poursuivi M. Eibner. C’est aussi un symptôme de la violente culture de suprématie musulmane qui affecte le nord du Nigéria. Cette culture est également évidente dans la campagne de nettoyage ethnique menée par les milices peules contre les chrétiens indigènes de la Ceinture centrale du Nigéria. »
« Si le Nigéria veut retrouver le chemin de la paix et de la stabilité, il faut s’attaquer à cette culture », conclut M. Eibner. La libération de Rhoda Jatau serait un excellent point de départ.
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